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Aphrika
13 septembre 2009

La Jeanne d’Arc Congolaise

Donna Béatrice, la Jeanne d’Arc Congolaise

 

 

 Arrivés dans la région du royaume du Kongo depuis la fin du XVeme siècle , à bord des premières caravelles portugaises , les missionnaires blancs s’y sont implantés au noble pretexte d’évagéliser les noirs et de les arracher de leurs pratiques paiennes.  Mais ces, hommes de Dieu représentent surtout la tête de pont idéologique et culturelle des nations européennes dans ces contrées immensément riches de produits agricoles, de peaux ( particulièrement recherchées en Europe), de pierres précieuses, d’Or, d’Ivoire, et bien sûr, d’esclaves . Aussi, devenus très présents comme conseillers des rois et des puissants, ils attisent , en coulisse, les rivalités entre les factions rivales princières du Kongo et n’ont de cesse de pousser à l’affaiblissement des pouvoirs locaux, afin de les faire basculer , tôt ou tard, dans l’escarcelle des puissances qui les ont mandatés.

 S’incrustant dans les cours royales, les missionnaires réussiront à convertir à la religion catholique tous les rois du Kongo sur lesquels ils se garantissent une emprise de plus en plus forte, en s’assurant de leur soumission au Dieu chrétien. En échange, ils reçoivent d’énorles privilèges, tandis que les commerçants portugais installés sur place drainent vers l’extérieur les richesses du royaume, devenu un débouché de choix pour leurs armes et leurs produits de pacotille. Résultat, les congrégations de toute espèce s’y succèdent au cours des siècles : franciscains, jésuites, capucins, dominicains, etc.

 Simultanément, les hostilités ne cessent de s’amplifier entres princes retranchés dans leurs provinces respectives. Aux guerres civiles succèdent famines et épidémies. Traumatisé , le peuple Bakongo ne sait plus à quel saint se vouer pour apaiser la colère divine. Coment ramener la paix ?

 Or voilà qu’en 1704, au plus profond de la tourmente, commencent à circuler çà et là des bruits à propos d’un personnage extraordinaire qui redonne espoir aux désespérés. C’est une jeune femme de 22 ans. Son nom : Kimpa Vita. Elle proclame qu’elle a reçu de Saint Antoine, patron des naufragés et de ceux qui souffrent la mission de rassembler ses compatriotes pour mettre fin au désordre et permettre au royaume de retrouver sa puissance.

 Issue d’une famille aristocratique du royaume Kongo, Kimpa Vita a reçu , comme toutes les jeunes nobles de l’époque, une éducation coutumière, mais aussi catholique, car, pour plaire au roi, les grandes familles étaient contraintes d’adopter la religion de leurs nouveaux alliés venus évangéliser les populations à tour de bars.

 A la tête de ses disciples , Kimpa Vita, que l’on appelait de son nom de baptême, Dona Béatrice, parcourt les villages menant à San Salvador,la cité aux 12 églises, l’ancienne capitale du royaume , dévastée et abandonnée de sa population. Elle avance, infatigable, son corps élancé vêtu d’un pagne de couleur verte en raphia tissé aussi doux que du velours, et le front ceint d’une couronne de fibres de Piki, l’arbre à raphia. Le visage aux trais fins respire une grande sérénité, qui tranche avec cette voix grave dont elle détache posément les mots pour être bien comprise de tous. Partout on lui ouvre les bras et tout au long de sa croisade, elle raconte le miracle qui l’a désignée pour relever son peuple décimé.

 « J’étais malade et près de mourir, et un soir, grelottante d’une fièvre qui allait m’emporter, j’ai vu apparaître en songe un frère habillé comme un moine. Il m’a dit être Saint Antoine, envoyé par Dieu dans ma tête pour m’exhorter à prêcher et à enseigner au peuple d’aller de l’avant. Puis, sans savoir comment, j’ai eu un grand soulagement et je me suis sentie revivre. J’ai appelé mes parents pour leur expliquer le commandement divin. Puis j’ai distribué toutes les richesses que je possédais pour bien montrer que je renonçais aux choses de ce monde et je me suis mise en route pour accomplir mon devoir. Et, alors que jamais je n’avais ainsi parlé devant des inconnus, vous prêtez tous attention à mon message et me suivez avec le plus grand succès ! »

 

 Exhortant ses fidèles à la prière, les poussant à renoncer aux fétiches de leurs ancêtres et à détruire les croix de la religion étrangère, elle annonce l’avènement d’un temps nouveau et la renaissance d’un royaume où le mal serait banni et où il n’ y aurait plus de misère. Ils sont nombreux à se presser autour d’elle, trouvant dans ses paroles le sursaut d’espoir qui allait les aider à repousser le spectre de l’infortune. Les paysans, un à un, approuvent les paroles de cette femme qui met à leur portée une nouvelle religion bien plus proche d’eux, alors que celle professée par les Blancs, avides des richesses du Kongo, ne se soucie que peu du bien des noirs ; une religion où les anges ne sont pas que Blancs et où le ciel semble habité de Noirs aussi.

 «  Le jour du jugement approche, proclame-t-elle. Dieu, dans son indignation, nous accable de terribles châtiments. Vous récitez le ‘Salve Regina’ et vous ne savez même pas pourquoi ! Pourquoi jeûnez-vous pendant le carême alors que vous êtes déjà épuisés par la disette? Si vous voulez être lavés de vos péchés, il suffit de vous exposer à la pluie. La confession ne sert à rien …Les bonnes œuvres sont vaines…Seule l’intention compte pour Dieu… Hommes Bakongo, mes frères, prenez autant de femmes que vous le désirez car telles sont nos coutumes ! »

 «  La vraie terre sainte est au Kongo, affirme-t-elle. Les véritables fondateurs de la religion catholique sont de notre race, de la race noire. Jésus-Christ est né à San Salvador, mais les blancs parlent de Bethléem ! Il a été baptisé à Sundi, que l’on appelle Nazareth. Mais sachez que Jésus-Christ, la Madone et Saint François sont aussi originaires du Kongo ! que tous les missionnaires qui s’emparent de nos richesses pour l’unique profit des Blancs quittent le Kongo. Ils sont contre la puissance de notre royaume. Saint Antoine es notre remède. Lui seul nous entend et nous aidera à reconstruire notre pays. »

 « Rejoignez San Salvador, ordonne-t-elle enfin aux foules en délire qui l’accueillent avec ferveur. San Salvador symbole de notre unité perdue, doit renaître de ses cendres. Dans San Salvador repeuplée, les racines des arbres abattus se transformeront en or et en argent. Sous les ruines relevées, nous découvrirons des mines de pierres précieuses et de métaux rares. A San Salvador, toutes les richesses que les Blancs nous ont  ravies iront à ceux qui adhèrent à la foi véritable et contribuent à la renaissance du royaume. »

 Par le bouche à oreille, les récits de miracles de la « sainte » traversent les provinces du Kongo, du nord au sud, de l’est à l’ouest. On dit qu’elle guérit les malades et que, sur son passage les arbres desséchés se redressent. Les fidèles se disputent ses restes de nourriture, persuadés d’en retirer quelque grâce. Jusqu’aux nobles et seigneurs qui se pressent autour d’elle, étendant sur le sol leurs riches pagnes de raphia ou leurs capes de soie et de brocart, pour lui dresser des nappes sur lesquelles on l’invite à prendre ses repas. Et puis il y’ a le rituel du Vendredi. Chaque vendredi, elle se plonge dans un recueillement absolu, s’associant ainsi à la mort du Christ. Elle dit ainsi qu’elle se rend au ciel pour plaider la cause des Noirs auprès de Dieu, ainsi que la libération du Kongo… Puis elle « ressuscite » le Samedi, prêtre à reprendre la route, rejointe à chaque étape de a longue marche par de nouveaux disciples.

  Considérée par les foules comme une prophétesse investie d’une mission sacrée, Kimpa Vita décide d’aller trouver le roi Pedro IV qui s’était réfugié avec ses partisans sur le mont Kibangu, afin de lui demander de regagner San Salvador. Cousin des deux belligérants, ce dernier né d’un prince Kimpanzu et d’une noble Kimuzala, occupait le troisième rang de succession. Espérant que sa filiation ferait office de compromis, le choix s’était porté sur lui et il avait été installé à la tête du royaume et couronné par les missionnaires capucins qui s’accommodaient bien de son peu d’envergure. Mais, sachant sa légitimité contestée, Pedro IV n’osait quitter les hauteurs de sa citadelle, pour prendre possession de l’ancienne capitale royale.

 Passant outre les pressions des missionnaires capucins qui l’entouraient, le roi reçoit la jeune femme. Il est aussitôt conquis par son charisme et son message plein de bon sens. Et San Salvador commence à se repeupler de gens qui veulent voir et toucher la « sainte ». les maisons sont reconstruites, les champs défrichés et les jardins replantés. Dona Béatrice envoie alors à travers le royaume des centaines de disciples surnommés les « Petits Antoine ». Reconnaissables aux couronnes de feuilles de Piki qu’ils portent sur la tête, ils traversent les campagnes en chantant le Salve Antonia et prêchent l’enseignement du mouvement des Antonins.

 Cette nouvelle religion va connaître un immense succès, tant parmi les populations animistes qui y adhèrent en masse que parmi les aristocrates qui commencent à se détourner de l’église catholique. En moins de deux ans, Dona Béatrice met sur pied les fondements d’une nouvelle église africanisée où se mêlent des influences catholiques et traditionnelles, et qui contribuera au renouveau politique du pays.

 Mais, les représentants de l’Eglise romaine, qui se considèrent comme les seuls intermédiaires entre Dieu et les hommes, commencent à voir en cette prophétesse noire une menace pour leur position sociale. « Faites que votre royaume devienne chrétien et votre puissance en sera augmentée », avaient-ils dit au roi pour le convaincre que son adhésion à la foi catholique le rendrait invincible et lui apporterait la supériorité sur ses ennemis ainsi que sur toutes les provinces en révolte.

 Et voilà que cette femme, par son seul charisme, galvanisait tout un peuple, en, lui ouvrant les yeux sur l’influence des étrangers placés autour du roi ! Voilà qu’elle entendait faire renaître les pratiques paiennes qu’ils avaient eu tant de mal à expurger de ces pauvres Noirs ! Qui plus est, en se référant d’un saint de leur propre Eglise à eux ! si cette contestation contre la foi catholique se propageait, c’est le fondement même de leur long travail d’appropriation de ces âmes qui risquait d’être remis en cause.

 Manipuler le faible roi Pedro IV ne sera pour eux qu’un jeu d’enfant. Bientôt celui-ci finit par craindre que l’influence de Dona Béatrice ne lui fasse de l’ombre. Il hésite cependant, redoutant de heurter le sentiment populaire en la faisant arrêter. Mais les capucins veillent au grain, ne cessant de le travailler au corps, au nom de « l’honneur de Dieu ».

 Alors il ordonne la répression de ses activités, obligeant la jeune femme à se réfugier dans la brousse en compagnies de quelques-uns de ses disciples. Et c’ets là que, traquée elle met au monde un enfant, fils de Barro, son plus fidèle compagnon de route. Le roi la fait arrêter à la demandes de capucins offusqués qu’elle ait eu un enfant alors qu’elle se prétendait vierge. Questionnée sur l’origine de ce bébé qu’elle allaite, Dona Béatrice répond : «  je ne peux nier que ce soit le mien. Mais comment je l’ai eu, je ne sais pas. Je sais seulement qu’il m’est venu du ciel et qu’il sera le sauveur de notre peuple ».

 Enchaînée, dona Béatrice est alors conduite devant le père Bernado Di Gallo, le chef des capucins chargée de l’interroger.

- « Qui êtes-vous ? » lui demande-t-i ,

- « Je suis saint Antoine, je viens du ciel. »

- « Et quelles nouvelles apportez-vous de là-haut ? Dites-moi si au ciel il y’ a des Noirs du Kongo et sont-ils là-bas avec leur couleur noire ? »

-  Impassible, elle lui répond qu’au ciel il y’a des petits Noirs baptisés ainsi que des adultes, mais qu’ils n’ont pas la couleur du Noir ni du Blanc, parce qu’au ciel il n’y a aucune couleur. Ce qui a le don de mettre ses juges en rage. Sous l’accusation d’hérésie, les missionnaires demandent sa mort.

-  « Que m’importe de mourir, réplique-t-elle. Mon corps n’est autre chose qu’un peu de terre. Je n’en fais aucun cas. Tôt ou tard il sera réduit en cendres. »

 Le père Laurent de Lucques, qui assistait à l’exécution, nous décrit cette journée du 2 Juillet 1706 où Kimpa Vita, que l’on surnommera plus tard la « Jeanne d’Arc Congolaise », est brûlée vive sur le bûcher, au milieu d’une foule contenue par plusieurs rangée de soldats protégés de boucliers en peau de buffle et armés de lances et de flèches.

 « Le basciamucano, c'est-à-dire le juge, prononça finalement la sentence contre Dona Béatrice, disant que, sous le faux nom de saint-Antoine, elle avait trompé le peuple par ses hérésies et des faussetés. En conséquence, le roi, son seigneur, et le conseil royal la condamnent à mourir sur le bûcher, elle et son concubin, qui se faisait appeler saint Jean.

 Après cet arrêt, ils furent emmenés vers le bûcher. Elle portait son enfant sur le bras. Il se produisit alors un si grand tumulte parmi la foule en détresse, qu’il n’ y eut pas moyen pour nous de prêter quelque assistance aux deux condamnés. On avait amassé là un grand tas de bois sur lequel ils furent jetés. On les recouvrit d’autres morceaux de bois et ils furent brûlés vif. Non- contents de cela, le lendemain matin, des hommes vinrent encore brûler quelques os qui étaient restés et réduisirent le tout en cendres très fines. »

 Qu’ajouter de plus à ce récit du martyre de Dona Béatrice, sinon que sa mort plongea le peuple Kongo dans la plus profonde consternation et que personne ne voulut croire les capucins lorsqu’ils affirmèrent plus tard que cette « femme du diable » s’était repentie et qu’elle avait renié toute son action passée, avant de mourir sur le bûcher. Quant à son nouveau-né, il fut sauvé de justesse par le père Laurent de Lucques qui, le considérant innocent des fautes de sa mère, obtint sa grâce auprès du roi. Sans doute fut-il accueillit par la grande famille des Antonins. Nul ne sait ce qu’il advint de lui.

 Pour perpétuer le souvenir de Kimpa Vita, la tradition orale raconte qu’à l’endroit où ont eu lieu les exécutions, deux puits profonds sont apparus et que, au milieu de ces puits, on a vu briller pendant très longtemps deux étoiles dont l’une symbolisait l’âme de Dona Béatrice et l’autre celle de son compagnon, Barro.

Auteur: Syvia Serbin

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Commentaires
A
Pour répondre à Obambé GAKOSSO, je dirai parce que malheureusement ce sont les références que nous ont imposés plus de 300 ans d'esclavage et plus d'un demi siècle de colonisation française en Afrique noire. Le problème c'est que même après les indépendances la colonisation des esprits a continuée : livres imprimés par la France, CFA frappé par la France sous conditions, Je ne veux même pas parler du taux alphabétisation qui bat encore des records en Afrique. Il faut bien reconnaître que la plupart des Africains instruits et cultivés en Afrique n'ont pas été formé complètement par le système éducatif africain. C'est triste mais c'est une réalité ! Alors on peut comprendre que tout en cherchant à défaire le mythe de la supériorité blanche que leur ont inculqué les écoles occidentales qui les ont formé, leurs références historiques africaines sont arrivés tardivement et souvent encore de l'extérieur ! Il n'est pas facile alors de court-circuiter un formatage assommant ou plus sûrement matraquage mental par une éducation fraîche et authentique du jour au lendemain sans prendre en considération ne serait-ce qu'à titre comparatif les références de l'enseignement que l'on a reçu par la puissance coloniale, très longtemps efficace en matière de manipulation. Merci pour ta compréhension.
H
Les personnages de cette trempe sont évidemment universellement exceptionnels. L'Afrique sub-saharienne à l'Ouest du grand Rift, a malheureusement, depuis l'aube des temps, manqué dans le commun des mortels d'un minimum de cette détermination que d'autres Africains ont pourtant eue. J'ai sur mon blog mystbb.blog4ever.com l'article "la mystique du bigbang" qui en est un constat peut-être sans concession, mais plein d'espoir.
A
@Alex Engwete<br /> Merci et bienvenu.<br /> @Nicolas, Bienvenu<br /> n'étant pas l'auteur de ce texte, mais Mme Sylvia Serbin, je tâcherai de lui transmettre votre question.<br /> Mais il est évident que les religions importées sont faîtes pour nous faire oublier nos traditions et cultures Africaines car l'objectif des missionnaires était au départ de créer une aliénation qui continue encore de servir les nations occidentales.<br /> C'est à nous de faire la part des choses: entre réligion, tradition et culture. <br /> Je suis musulmane, mais ça ne m'empêche pas de faire la part des choses et rester enraciné par une certaine tradition et culture Africaine.
A
@Alex Engwete<br /> Merci et bienvenu.<br /> @Nicolas, Bienvenu<br /> n'étant pas l'auteur de ce texte, mais Mme Sylvia Serbin, je tâcherai de lui transmettre votre question.<br /> Mais il est évident que les religions importées sont faîtes pour nous faire oublier nos traditions et cultures Africaines car l'objectif des missionnaires était au départ de créer une aliénation qui continue encore de servir les nations occidentales.<br /> C'est à nous de faire la part des choses: entre réligion, tradition et culture. <br /> Je suis musulmane, mais ça ne m'empêche pas de faire la part des choses et rester enraciné par une certaine tradition et culture Africaine.
A
Je connais quelqu’un qui voulait « revaloriser » la culture et l’histoire africaines : Mobutu et son escroquerie sémiotique appelée « Recours à l’Authenticité »… Cela étant dit, très beau blog en tout cas et je viens d’y mettre un signet.
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